INTOLERANCE RELIGIEUSE
ET IDENTITE CULTURELLE EN COTE D’IVOIRE
Yao N’Guetta,
TRAORE Adama
Les PPA, les Presses Per
Ankh d’Abidjan, Décembre 2011
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"Aujourd’hui ce n’est plus le blanc qui tient la torche, ce sont des Africains qui prenant la relève et mettent le feu aux objets sacrés de leurs pères et mères"
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"Aujourd’hui ce n’est plus le blanc qui tient la torche, ce sont des Africains qui prenant la relève et mettent le feu aux objets sacrés de leurs pères et mères"
Résumé
Dans
ce texte daté du 16 mail 2009 et publier pour la première fois sur le Blog de
l’Association kemetmaat, les auteurs alertent l’opinion sur la destruction des
cultures africaines par les idiologies étrangères qui se déploient
tranquillement à l’ombre du prosélytisme religieux. La diversité culturelle et
religieuse est une richesse pour l’humanité qu’il convient de préserver.
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« …C’est que le pire crime du colonialisme ne fut peut-être pas la
falsification délibérée de notre histoire, falsification que Diop s’acharna à
corriger , mais bien , ainsi que le suggère John Henrik, « la
colonisation de l’image de Dieu »...Ce qui est suggéré ici , cependant
, c’est que cette image a été plus pernicieuse, et continue d’être plus
destructrice, que le mythe de notre anhistoricité et autres affabulations
eurocentiques et racistes car ce qui est atteint ce n’est pas seulement notre
intellect, mais bien notre âme » Ama mazama, Religion et Renaissance
Africaine, Mambo Presses, 2010.
Les agressions contre les religions africaines et la
culture africaine sont de plus en plus nombreuses et se font au grand jour, en
toute tranquillité et en toute bonne conscience.
Dans leur prosélytisme tous azimuts, certains
prêtres, pasteurs et imans ne ratent pas une occasion pour stigmatiser les
croyances de ceux qui ne seraient d’aucune foi, dans cette société trop malade
de son extraversion, sur laquelle ils
semblent avoir établi pour de bon, leur monopole de Dieu ! Ce Dieu dit
« unique et universel », qui apparaît pourtant, rattaché à
une origine ethnique et culturelle particulière.
Dans le journal Le Jour
Plus du 8 mai 2009, un chef religieux a laissé entendre que les adeptes des
religions africaines, contre lesquels il mènerait sa « légitime »
djihad ou croisade, ne connaissaient pas Dieu.
Ce chef religieux n’est absolument pas le seul. Il
ne se passe pas un jour où les journaux, confessionnels ou pas, ne racontent
pas les exploits de ces « croisés » des temps modernes, qui renvoient
plutôt aux intolérances religieuses du Moyen Age européen, ou des colonisations
arabe et européenne dans le monde, dans leur processus de
« décivilisation » des peuples conquis.
Sur les lieux de culte ou sur la place publique, on
stigmatise à tout va les pratiques, et on invective les adeptes de toutes
croyances jugées hors des moules des
religions aujourd’hui « dominantes », et leurs pensées uniques, dans
lesquels nos concitoyens doivent finir
par enfermer leur esprit contre eux-mêmes.
Est-il besoin de rappeler que les premiers hommes et
femmes qui ont découvert Dieu sont bien nos ancêtres ; les négro-africains.
Ce sont les Kemit de la grande civilisation noire de l’Egypte ancienne, qui ont
naturellement écrit les premiers textes sacrés de l’histoire, vers 2600 ans
avant la naissance de Jésus Christ : longtemps, très longtemps avant
l’apparition des religions judéo-chrétiennes et musulmanes. Nombre de concepts
de ces religions dites révélées, ont leurs origines dans les cosmogonies
africaines.Péjorativement désignés par les discours
colonialistes comme fondamentalement « animistes
et polythéistes », les Africains seraient des « mécréants
« perdus dans les ténèbres et sans aucune espérance! ». S’ils ne
sont pas des incarnations ou des suppôts du diable, ils sont déclarés indignes de l’humanité.
Comme au bon vieux temps de la colonisation pure et dure, prétendant apporter,
par la croix ou par le croissant, épée, cimeterre ou fusil au poing, l’âme
précieuse, qui manquerait aux autres peuples conquis et colonisés d’ici et
d’ailleurs pour être des hommes, ou accéder à la civilisation. Les païens sont
comme des animaux, proclamait sans ambages, il n’ y a pas longtemps encore, un
pasteur, au cours d’un mariage dans un quartier d’Abidjan, qui accueillait,
outre la masse captive de ses ouailles
aux anges, bien d’autres personnes ayant tout simplement le droit de ne pas
croire en ses mensonges enflammés. Insultées en plein midi d’un jour
d’allégresse partagée et de communion fraternelle, ces personnes on dû avaler une couleuvre de
plus ! Sans doute par éducation et
par souci de ne pas perturber le déroulement de la cérémonie. Dans tous les
cas, la sagesse recommande bien, en la circonstance, que l’on ne réponde pas au coup de pied de
l’âne… !
Et pourtant, vous n’entendrez pas un seul adorateur
ou danseur de « fétiche », invoquer Dieu, le Ciel et la Terre, les génies et l’esprit de ses ancêtres, en
insultant les autres qui ne partageraient point ses convictions. L’invective n’a
jamais été un argument !
Dans leur manichéisme atavique, les adeptes des
religions dites révélées et universelles manquent-ils d’argument pour faire
valoir leur théologie, là où, les autres se valent par eux-mêmes, sans renvoyer, par défaut, à aucun faire valoir ou
repoussoir. Ne démontrent-ils pas par là les limites de leurs discours ?
De la surenchère verbale à la violence physique, il
n’y a qu’un pas, qui est allègrement franchi, en cette République de Côte
D’Ivoire, que notre Constitution déclare pourtant laïque, et dans laquelle le
Procureur oublie souvent de lever le petit doigt pour protéger les principes
républicains de la démocratie et de l’Etat de droit, sur lesquels la nation
cherche avec toutes les difficultés du monde, à s’asseoir !
Emportés par le fanatisme et par cette illusion ou
ce sentiment d’en avoir la raison et le
droit, qui subjugue les esprits illuminés, les prosélytes de tout acabit se
lancent dans leur djihad ou leurs croisades, contre toutes fois et
pratiques socio culturelles, dont ils ne peuvent souffrir la différence.
L’alibi de la sorcellerie criminelle ou du
fétichisme maléfique, est bien souvent servi, aux fins de justifier tous ces
débordements relevant plutôt de stratégies d’occupation de terrain, repérables
dans cette espèce d’élan hégémonique qui anime et pousse les religions dites
universelles, bien assises dans notre société.
Loin de nous toute volonté de défendre les pratiques
délinquantes comme la sorcellerie dont on connaît et reconnaît les ravages
parmi les populations, en ville comme à la campagne. Dans notre société,
empoisonnements, assassinats mystiques et envoûtements n’épargnent personne ni
aucune classe sociale, créant une sorte de psychose exploitée à souhait, par
plus d’un charlatan, qui y trouve le fonds de commerce le plus juteux.
Nous reconnaissons donc les méfaits liés aux
pratiques négatives ; ils constituent des pesanteurs qui nuisent à l’image
de nos cultures, contribuent à leur rejet par des populations aux abois ou
ayant perdu de leurs repères, et proies faciles des prosélytes et autres
détracteurs conscients ou inconscients bien servis par les exactions de
quelques délinquants.
Cependant, avons-nous la même réaction négative
vis-à-vis des cultures et religions qui nous dominent, alors que leurs travers
sont aussi nombreux ?
Le bien et le mal cohabitent en l’homme,
indépendamment de ses croyances, et la criminalité mystique existe partout,
comme autant d’autres perversions.
Qui a oublié les déboires de Rashman Rushdy à propos
des versets sataniques ? Que dit-on de la sharia ? Que dira-t-on de
l’envoûtement de fidèles de cultes où les nombreuses quêtes ressemblant fort
bien à des extorsions de fonds alors que comme on le sait la spiritualité ne
fait pas bon ménage avec l’argent.
Dans le quotidien, abus de confiance qui ne dit pas
son nom, la quête est devenue un véritable racket, sur des personnes à l’esprit
souvent embué par leur foi démesurée, et à la merci de personnages véreux, dont
les comportements devraient dégoûter plus d’un citoyen sinon interpeller tous
ceux qui prétendent tant se préoccuper du
salut de leur semblable, ou mènent des djihad ou croisades, pour
« assainir » mystiquement ou moralement la société.
Dans le cas d’espèce, on préfère, au contraire,
fermer les yeux sur ces travers, ou plutôt les assimiler, les tenant pour
preuve de notre modernité, ou pour de
nouveaux critères de performance, dans la recherche des voies de la richesse,
du pouvoir et de la puissance. Que dira t –on de la condition réservée aux femmes
dans des grandes religions où ces dernières sont interdites des fonctions de
prêtes et d’imans.
D’autre part, autant il faut probablement des
décisions courageuses de la part des pouvoirs publics, pour prendre en compte
ces phénomènes délinquants dans la
gestion globale de la question de la sécurité des citoyens, autant nous devons
condamner le laxisme ou l’apathie complice dont ils manifestent vis-à-vis des
débordements du prosélytisme débridé des
croisés de notre temps, aussi dangereux.
Les faits sont comme des symptômes de l’histoire. Et,
malheureusement, nous en sommes à une phase de notre histoire où, ayant brisé
les principales résistances et mis en place tous les instruments idéologiques,
institutionnels et techniques de son système de domination, le colonisateur,
européen ou arabe, peut bien se croiser les bras, pour voir
comment, sous ses yeux, le processus qu’il a amorcé des siècles avant, se
déroule, pour être parachevé avec les
colonisés eux-mêmes devenus les acteurs plus engagés et efficaces de leur
propre colonisation, désormais à sa vitesse de croisière.
Aujourd’hui ce n’est plus le blanc qui tient la
torche, ce sont des Africains qui prenant la relève et mettent le feu aux
objets sacrés de leurs pères et mères.
Les numéros du « Jour Plus » du 5 et 8 mai 2009 ne rapportent-t-il pas qu’un chef religieux fait brûler des « fétiches » sur les places publiques dans des quartiers d’Abidjan ? Ces scènes réveillent en nous, le souvenir des sombres époques des expansionnismes religieux de l’Islam et du Christianisme en Afrique ou en Amérique. La religion a toujours été et reste encore, un des moteurs des conquêtes coloniales.
Les numéros du « Jour Plus » du 5 et 8 mai 2009 ne rapportent-t-il pas qu’un chef religieux fait brûler des « fétiches » sur les places publiques dans des quartiers d’Abidjan ? Ces scènes réveillent en nous, le souvenir des sombres époques des expansionnismes religieux de l’Islam et du Christianisme en Afrique ou en Amérique. La religion a toujours été et reste encore, un des moteurs des conquêtes coloniales.
Extrait de la Bulle du Pape Nicolas V,
8 janvier 1454 qui évoque les sombres époques de l’expansionnisme chrétien en
Afrique.
"Nous
avions jadis, par de précédentes lettres, concédé au Roi Alphonse, entre
autres choses, la faculté pleine et entière d’attaquer, de conquérir,
de vaincre, de réduire et de soumettre tous les
sarrasins (c-a-d les Nègres), païens et autres ennemis du Christ où qu’ils
soient, avec leurs royaumes, duchés, principautés, domaines, propriétés,
meubles et immeubles, tous les biens par eux détenus et possédés, de
réduire leurs personnes en servitude perpétuelle (...) de
s’attribuer et faire servir à usage et utilité ces dits royaumes, duchés,
contrés, principautés, propriétés, possessions et biens de ces infidèles
sarrasins (nègres) et païens (...)
Beaucoup
de Guinéens et d’autres Noirs qui avaient été capturés, certains aussi
échangés contre des marchandises non prohibées ou achetées sous quelque autre
contrat de vente régulier, furent envoyés dans les dits Royaumes "
|
Le paradigme
hérité de l’historiographie de Hegel qui exclu l’Afrique de l’histoire et les
dogmes anthropologiques de Gobineau qui refusent au nègre tout rôle important
dans l’évolution de l’humanité à cause de la prétendue infériorité de sa
« race » sont toujours en œuvre dans le monde occidentale mais
le fait nouveau c’est que ce paradigme semble avoir gagner aujourd’hui la
pensée moderne africaine sans doute par le biais de l’école et de la
propagande.
On fait donc le constat que de nombreux ivoiriens,
ont fini par intégrer ces préjugés et ces idées reçues sur les africains. On aboutit à une situation insolite
c'est-à-dire une sorte de racisme contre
soi même.
Dans
le propos qui précède, nous avons voulu attirer l’attention des uns et des
autres sur les dérives du prosélytisme religieux et notamment dans ses
conséquences néfastes pour la paix sociale.
Mais
mieux encore, nous avons voulu à travers l’évocation de ces violences, alerter
l’opinion sur la gravité de la situation culturelle du pays et sur les enjeux
qu’elle implique. Ce dont il est fondamentalement question ici c’est la
destruction des cultures africaines par des idiologies étrangères qui se
déploient tranquillement à l’ombre des religions sous prétexte de rechercher le
salut des peuples en combattant la sorcellerie et les pratiques délinquantes
que nous décrions tous.
La
diversité religieuse comme la diversité culturelle est un bien pour l’humanité
qu’il convient de préserver. Et nous n’avons pas le droit sous quelque prétexte
que ce soit de laisser saborder nos cultures qui ont pleinement leur place dans
le monde.
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